Bon, ça va être un peu long. Il va peut-être te falloir un brin d'effort pour lire jusqu'au bout, en plus c'est dimanche, mais viens voir, penche-toi sur ton écran, je crois que ça vaut le coup.
Pas
ce que je vais écrire, ça on s'en fiche, mais l'histoire du livre
et l'histoire autour de ce livre. Et si mon seul bon goût exquis ne
suffit pas à te convaincre, sache que sur le petit papillon que les
libraires avaient posé sur la couv du petit bouquin, il était écrit
que c'est la chouettissime Valentine
Goby (marraine
de la librairie) qui le leur avait mis entre les mains. Et toc !
Je
vais écrire long pour un livre tout court.
Ça
se passe en 1919. Il y a près d'un siècle, tu te rends compte ?
Et
non, tu ne te rends pas compte, l'écriture est, comment m'a-t-on dit
?, résolument moderne. Les mots et le propos. Un propos pareil, on
ne l'attend pas en 1919. Pas du fin fond d'un petit village atrophié.
Ou alors c'est moi, et mes idées fausses. Des mots simples pour le
plaisir et le désir, et une certaine nécessité peut-être.
Et
puis j'en dis pas plus, parce qu'on n'est pas à confessions intimes
non plus, faudrait pas confondre !
Des
mots simples et justes, et courts.
En
fait, je ne vais rien écrire du tout, je ne vais que copier-coller,
ça parle de soi.
Préface
Le Saule Mort*, le 19 juin 1919
Le Saule Mort*, le 19 juin 1919
J'ai
décidé de raconter ce qui s'est passé après l'hiver de 1852 parce
que, pour la seconde fois en moins de 70 ans, notre village vient de
perdre tous ses hommes sans exception. le dernier est mort le jour de
l'Armistice, le 11 novembre dernier.
Pour
nous les femmes, il n'y a pas victoire mais vide et je joins mes
larmes à celles de toutes les femmes, allemandes ou françaises, qui
errent dans leur maison sans homme. je pleure ces bras perdus faits
pour nous serrer et renverser les brebis lors de la tonte. Je pleure
ces mains fauchées faites pour nous caresser et tenir la faux
pendant des heures. j'avais 16 ans en 1851, 35 ans en 1870 et 84
aujourd'hui. A chaque fois, la République nous a fauché nos hommes
comme on fauche les blés. C'était un travail propre. Mais nos
ventres, notre terre à nous les femmes, n'ont plus donné de
récolte. A tant faucher les hommes, c'est la semence qui a manqué.
L'histoire
que je raconte aujourd'hui, au soir de ma vie, s'est déroulé en
provençal. A l'époque, nous n'avions d'autre langue que celle-ci,
reçue de nos parents. L'idiome provençal - le patois disent les
cracheurs - est ma langue maternelle et je l'admire pour sa
résistance. Pourtant, j'ai choisi d'écrire notre histoire en
français pour que ce dont je témoigne se répande au-delà de notre
région et parce que j'aime aussi cette seconde langue. Je l'ai
apprise, je l'ai adoptée comme on adopte une patrie, je l'ai
enseignée. C'est celle de cette République pour laquelle nos hommes
ont donné leur vie d'un coup et nous les nôtres pendant toute notre
vie de femme.
Violette
Ailhaud
*Le
Saule Mort est un hameau du village du Poil dans les Alpes
de Haute-Provence. Violette Aihaud y a vécu ses dernières années.
Elle y est morte en 1925. Dans sa succession, il y avait une
enveloppe qui ne pouvait pas être ouverte par le notaire avant l'été
1952. Après ouverture, la consigne indiquait que son contenu, un
manuscrit, devait être confié à l'aîné des descendants de
Violette, de sexe féminin exclusivement, ayant entre 15 et 30 ans.
Yveline, 24 ans, s'est retrouvée en possession du texte de ce livre
en juillet 1952.
Et
la der de couv indique :
En
1852, Violette Ailhaud est en âge de se marier quand son village des
Basses-Alpes est brutalement privé de tous ses hommes par la
répression qui suit le soulèvement républicain de décembre 1851.
Deux ans passent dans un isolement total. Entre femmes, serment est
fait que si un homme vient, il sera leur mari commun, afin que la vie
continue dans le ventre de chacune.
La
page 23 dit :
«
L'homme est dans notre village de femmes et ma violence me tombe des
bras. Le premier soir nous le logeons dans un petit jas à l'entrée
du village : nous ne savons pas qui il est. L'homme lit . C'est ce
que je découvre en lui portant son souper. Il lit et c'est rare.
Cette découverte fait battre mon cœur. Pour moi, un homme qui lit
ne peut être qu'un homme bon. Et puis c'est une chose que nous avons
en commun. Ma raison y voit un signe d'encouragement pour mes
sentiments. Je suis arrivée à pas de loup et il ne m'a pas entendue
venir. Je l'observe un moment en secret. Je vois son sourire naître
des mots qu'il lit. Je repense à nos cinq livres que mon père m'a
envoyée cacher, lors de l'entrée des gendarmes au village, dans la
cache qui prend dans la descente du puits. Je repense à mes heures
d'apprentissage de la lecture avec mon père quand j'avais cinq ans.
Je repense au plaisir de lire et de relire, de savourer les sons des
poèmes lus à tue-tête, seule dans les champs quand le vent
bouffait. Je repense à ma mère criant après mon père que les
idées de poésie me tourneraient la tête. Je repense à mon père
éclatant de rire et embrassant ma mère pour la faire taire. »
Si
on était sur un site marchand, on te suggérerait des auteurs
similaires. On te dirait que vous aimeriez peut-être, etc.
Et
bien, sans autre similitude que l'air du vent que ça souffle, j'y ai
retrouvé de loin des embruns de Milena Agus, des Reflets d'argent de
Susan Fletcher, un tout petit peu du Gamin de l'Entre ciel et terre
de Stefansson. Tu vois quoi ?
Je
te flanque aussi un bout de la page 19, je ne résiste pas, tu
commences à me connaître peut-être, et tu sais, hein, les mots sur
les paysages...
«
J'aime le village dans lequel je suis née, au cœur duquel j'ai
presque vécu toute ma vie. De loin, il semble être posé sur la
plaine. Lorsqu'on l'approche, on le trouve sur un promontoire,
entouré d'entailles profondes, comme si un géant avait biné autour
de lui dans la mer de galets.
Notre
village se mérite. Alors qu'on le croit à portée de main, il faut
encore plonger dans le ravin et grimper dur vers les maisons serrées
comme un bouquet de fleurs.
Notre
village est en plein vent. L'été, quand la brume laiteuse gomme
tout le relief, il est isolé du monde. On se croirait sur un navire
en pleine mer au milieu des vagues du plateau qui ondule sous la
chaleur. L'hiver, le monde réapparaît avec le ciel bleu. Le Mistral
a soufflé des jours, les montagnes se rapprochent comme pour se
pencher sur notre vie. »
Voilà,
voilà. C'est L'homme-semence,
de Violette
Ailhaud,
dans la
collection Main de femme des éditions Parole,
un tout petit livre accessible à toutes les bourses (pardon) qui
coûte 8 euros.
Comme
d'hab', c'est pas vraiment à toi que je raconte tout ça, c'est à
ton PerNo qui se gratte le crâne pour trouver de chouettes cadeaux.
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