l'été ciRculaire

Qu'est-ce que tu veux, j'aime l'écriture de cette nana. J'aime ses mots, j'aime son rythme, j'aime son ton.
À chaque fois, ça me prend dès le début et ça ne me redépose qu'à la fin, la toute fin.
J'aime son regard posé sur les gens, implacable et pas dupe. (ou alors c'est moi qui y vois ça) avec quand même de la tendresse dedans, ou de l'affection (ou alors c'est moi qui y vois ça), jamais de condescendance. Une radiographie en sous-vêtement. Elle voit la gangrène ou les bubons en haut des cuisses, sous les jupes et les pantalons, et elle les raconte, sans fioritures, sans s'attarder non plus, et sans plomber. Et la vie qui continue.
J'aime les mots qu'elle pose sur les cassures et les cassés, simples, beaux, et justes. On en revient toujours à ce mot-là, avec l'écriture de Marion. Juste, c'est ça. Ça tourne pas autour, ça n'épargne pas, ça n'enfonce pas non plus. C'est beau, ça croque, ça dit, et ça tombe pile. C'est espiègle aussi. Et acéré.
Et puis le rythme. J'aime les rythme de ses mots. J'aime la lire, j'aime la dire, ça roule tout seul sur la langue. Ça pourrait faire comme un chant, ou comme une danse, mais pas de salon.
Bref, je viens de voir filer un été avec Marion Brunet et c'était bon.
"Jo observait sa sœur floutée par la vitesse : un an de plus, un crâne de piaf, un port de reine. Seize ans à s'agiter dans le monde, effleurer le vide, éclore sans apprendre. Devenir encore plus jolie que l'année d'avant, et un peu plus conne. C'est drôle que, des deux, ce soit Céline l'aînée. Johanna n'est pas particulièrement raisonnable, mais elle porte un peu de cette lassitude désespérée qui fait parfois office de maturité, même à quinze ans."
"Le père a mis du temps à réaliser que Céline, conforme à l'étiquette, savait sans avoir appris. Il avait été le premier à lui en faire compliment, fier comme d'une génisse, fallait pas qu'il s'étonne. Céline était belle et en jouait, vu que sa capacité attractive était inversement proportionnelle à la profondeur de son champ de vision. Pour Céline, l'horizon allait jusque-là où elle pouvait voir. De la maison, ça donnait sur les collines du Lubéron. Des fenêtres du lycée technique, elle pouvait pousser jusqu'au mont Ventoux. Au-delà commençait l'horizon de sa sœur. Mais ça, c'était pas pour tout de suite."
"Ici, l'été, d'autres choses étaient permises. On était fort et intrépide, le courage se mesurait à la hauteur d'un saut, à l'audace d'un plongeon. Les filles surgissaient hors de l'eau en hurlant qu'elle était glacée, la peau marbrée de rouge, les frissons sous les serviettes. Il y avait celles qui plongeaient aussi loin que les mecs, et celles qui restaient sur le bord, frileuses, les reluquant d'un œil moqueur, évaluateur. C'était pour ces dernières que les garçons devenaient braves ; au fond, ça ne les intéressait pas vraiment, les filles trop courageuses. Sauf Saïd, justement. Il revoyait les corps graciles marchant sur la cime de la cascade, un pied après l'autre comme sur un fil pour traverser la berge, lisses et déhanchés, bras écartés pour tenir l'équilibre. Les mecs bavaient en suivant les croupes, le tissu tendu des maillots de bain. Lui aussi il en bavait, surtout après, en y repensant."
"Manuel ne dit rien. En haut de son grand corps de gladiateur, sa tête dodeline de fatigue et son tic n'a pas cessé, c'est même pire : sa joue bouge toute seule sous ses lunettes de soleil. Ses mains bousillées sont planquées au fond des poches de son blouson, alors qu'il fait déjà beaucoup trop chaud pour en porter un. Il frotte ses doigts l'un contre l'autre, les petits bouts de béton sec s'effritent contre le tissu. Ses phalanges douloureuses, irritées jusqu'au sang, lui rappelle qu'il est vivant."
"La pluie redouble soudain, l'enlise jusqu'aux chevilles, et les trombes fracturent le paysage, isolant la jeune femme du reste du monde. elle n'y voit plus à cinq mètres ; de toute façon, ça tombe si fort qu'elle est obligée de fermer les yeux. La pluie cliquette sur son corps, cingle la peau et s'y écoule, caresses après coups. Ça dure quelques minutes, ou beaucoup plus, une danse avec très peu de gestes. Et puis sa tête bascule en arrière et Johanna pousse un long cri de gorge et de bête, un cri qui n'est pas une plainte ni un appel mais un peu des deux, un cri qui la prolonge, rauque et euphorique. Mais lorsqu'elle va jusqu'au bout de son souffle et qu'elle se tait, c'est un autre cri qui répond à son silence ; plusieurs cris en réalité, qui se mêlent au bruit de la pluie, et qui viennent de la maison des grands-parents. Elle croit même entendre son prénom.
Est-ce qu'ils sont inquiets pour elle ? Ou c'est autre chose ?
La magie est passée : la transe étrange, pieds dans la boue, lui semble décalée, honteuse. Elle se rhabille, le jean colle et elle a du mal à l'enfiler, elle laisse tomber les chaussettes et galope pieds nus jusqu'à la propriété, une basket dans chaque main."
L'été circulaire
Marion Brunet
Albin Michel

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