des cArpes et des muEts

Ils s'appellent Phlox, Hilaire, Polycarpe, Clovis, Nazaire. Y a Jean-Guy aussi, le petit. Elles s'appellent Irmine, Prisque, Basilide. C'est le petit monde d'un petit village, par là. C'est l'été et il fait chaud. On vide le canal pour lui nettoyer la boue du fond, et on y trouve un sac plastique, neuf, avec des os dedans. Et pourtant il ne manque pas un squelette au cimetière.

Ça s'appelle Des carpes et des muets, c'est Edith Masson qui l'a écrit, et c'est réjouissant à lire.

"Hilaire poussa la porte du bistrot. La salle était dans l'ombre, Nazaire avait tiré les rideaux.
Juchés sur les tabourets, des habitués du matin, avachis au comptoir, se taisaient, les yeux dans le Picon. Autour des verres, des mouches ivres tournaient en rond. Ils levèrent la tête quand les trois hommes et Phlox entrèrent.

- Sers-nous un coup, Nazaire, dit Clovis en faisant claquer le sac d'os sur une table que le cafetier avait briqué le matin même avec soin.
- C'est quoi cette saloperie ? dit Nazaire, les mâchoires en avant - il était maniaque.
- Un squelette.
Nazaire eut un geste de recul. Au zinc, les habitués se balançaient sur leurs tabourets. Ils attendaient la suite. Ils hésitaient à venir voir, au cas où ce serait une blague. Mais Polycarpe, théâtral, extirpa un crâne tout ce qu'il y avait d'humain. Puis les os, un à un."

"Et ce matin de grande crue où, en ouvrant sa porte comme il aimait le faire aussitôt levé pour humer l'air, il avait trouvé la rivière immobile et froide à ses pieds, drap monté pendant la nuit, venu border les rues et les maisons. Saisie à l'aube d'un gel vif. Il avait longuement contemplé la vallée, lisse, grisâtre, mer figée, crevée de troncs étranglés, broussailles noires, poteaux électriques. [...]"

Des carpes et des muets
Édith Masson
Les éditions du sonneur

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