bOndrée

Pendant qu'il ne neige pas ici, je lis canadien, et c'est une riche idée sais-tu !

Bondrée, l'incroyable Bondrée, vient juste de sortir en poche et c'est une aubaine.
Bon, incroyable, c'est pas le mot qui lui va le mieux. C'est juste que je fredonne Dans la jungle terrible jungle en même temps que j'écris, et dans l'élan,va comprendre, j'ai repris le rythme.
🎼 Dans les bois de, Bondrée les bois, l'trappeur a surgi c'soir 🎶
(mouais. Désolée)

C'est l'été, au bord du lac c'est familial, les cabanes sont en rondins de bois et autour c'est la forêt.
Et dans la forêt, il y a, il semblerait, un trappeur-hanteur. Qui a comme des comptes à régler.
C'est Andrée A. Michaud qui a écrit Bondrée, et c'est chouette comme elle écrit Andrée A. Michaud. Ça commence tout doux l'air de rien, ça te prend tout de suite par la main, et zou, ça t'embarque, tu lis français, anglais, canadien, tu t'en fiches, tu comprends tout et tu te régales.
Moâ, en tout cas, j'ai fait bonne chère ! Un chouette de polar !

« […] Que faisait Ménard dans les bois ? avaient d'abord voulu savoir les policiers, et Ménard n'avait d'autre réponse à cette question que la plus banale. Il se promenait, c'est tout, parce qu'il aimait se promener, marcher sous le couvert des arbres et observer les jeux de lumière sur l'enchevêtrement des racines moussues. Il ne pouvait cependant expliquer pourquoi il avait pris cette direction plutôt qu'une autre. Il s'agissait d'une affaire de hasard, d'impulsion du moment. Un détail attirait votre attention, une éclaircie familière, et vous décidiez de vous enfoncer dans le bois à cet endroit.
Ménard ignorait quel chemin il aurait emprunté s'il avait su ce qu'il découvrirait ce jour-là et cette pensée le torturait. Aurait-il couru vers Zaza, porté par le fol espoir d'arriver avant la mort, ou aurait-il laissé à d'autres le soin de fermer les yeux révulsés de la jeune fille ? Se précipite-t-on vers le cauchemar, vers le fer qui va vous déchirer la poitrine ? Après être revenu chez  lui, la veille, pendant que les policiers s'occupaient de Zaza Mulligan, il n'avait pu s'assoupir qu'au petit matin, hanté par le regard indescriptible de l'adolescente, mélange de résignation et de terreur blanche, puis par la longue jambe qui s'était glissée sous les draps, de la douceur gluante du sang frais, et l'avait poussé à se relever d'un bond. Le fer, déjà, avait brûlé sa peau, l'obligeant à mentir à Jocelyne, sa femme, à la réconforter maladroitement, incapable de lui avouer qu'ils coucheraient désormais avec une morte.
Les enquêteurs avaient aussi interrogé cette dernière, Jocelyne, d'une grande beauté, avait constaté l'un des policiers devant la légèreté des taches de rousseur rappelant l'immensité des soleils sous lesquels avait dû courir la petite Jocelyne. Celle-ci avait confirmé que son mari s'absentait souvent de longues heures pour revenir l'haleine chargée d'odeurs de gomme d'épinette, les yeux remplis de lueurs prises à l'eau des ruisseaux ou à l’œil des bêtes tapies dans l'obscurité verte des sous-bois. Elle ne connaissait pas la véritable origine de ces lueurs, ne comprenait pas que l'eau froide puisse se transformer en lumière au coin d'un œil, mais elle pouvait décrire le goût amer de la forêt, qui demeurait longtemps dans sa bouche après que son mari, à coups de langue lumineuse, avait tenté de lui inoculer cette essence contenant la beauté des arbres.  Elle n'avait cependant rien pu leur apprendre sur Zaza Mulligan, sinon que ce corps fantomatique marchait depuis la veille au côté de celui de son mari, qui lui avait parlé de la jambe déchirée de Zaza, mais surtout de sa chevelure, de cette traînée de lumière éteinte dans l'ombre verte. C'est ce qu'avait d'abord vu Ménard en s'écartant du sentier, une longue chevelure rousse, ne comprenant pas bien ce qu'était cet enchevêtrement soyeux. Il avait ressenti un coup au sternum en l'apercevant, pareil à ceux qui lui transperçaient la poitrine quand sa petite Marie lui échappait pour traverser la rue. Le temps s'arrêtait alors, n'était plus qu'un cœur battant à vide, jusqu'à ce que Marie ait atteint le trottoir d'en face et qu'il la rejoigne, les jambes molles, les oreilles bourdonnantes : si tu meurs, Marie, je vire fou.
Au sein de la forêt, il avait donc pensé à Marie en retenant son souffle, puis il s'était mis à rire, à se moquer de lui, de sa bêtise, cherchant un mouchoir dans sa poche pour essuyer ses larmes et s'accroupissant, une crampe au ventre, maintenant, une bonne crampe de fou rire. Ce qu'il avait pris pour une chevelure n'était que la longue queue d'un renard roux, mort de faim, de maladie ou de vieillesse. Maudit Ménard, avait-il murmuré, maudit Ménard que tu m'énarves des fois. Lorsqu'il avait relevé la tête, un éclair de chair blanche l'avait ébloui, quelques pouces de blancheur prolongeant la chevelure. Son rire avait cassé net, un tir de boulet l'avait frappé en plein cœur et il s'était approché de l'arbre au pied duquel gisait la chose inconnue. C'est un renard, Ménard, pogne pas les nerfs, c'est rien qu'un pauvre renard. Mais la chose était presque nue, plus longue qu'un renard, plus blanche aussi. La chose avait des jambes et des ongles vernis."

Espiègle. Je crois que voilà, c'est ça qui me vient : il y a de l'espièglerie dans l'écriture d'Andrée A. Michaud. Oh pas seulement, bien sûr, le dame est subtile et plurielle, mais j'ai bien aimé le soupçon d'espièglerie que j'ai trouvé dans les tons de son écriture. Je vais lui remonter la bibliographie. Du coup.

Bondrée
Andrée A. Michaud
Rivages / noir

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