3
janvier.
Voilà,
ça y est, on y est.
Le
3 janvier.
On
croyait qu'il n'arriverait jamais.
Ça
fait 3 x 6 mois, ou presque, qu'on sait qu'il y aura cette date-là,
et ça paraissait l'autre bout de la vie. C'était juste l'autre bout
de l'année, celle qui n'avait alors pas encore commencé.
3
x 6 mois, c'est tout petit en fait, et c'est rien de trop.
Ça
fait 3 x 36 mois, ou presque, qu'on se connaît, et ça fait 3 x 36
mois ou presque que je te vois poser des mots sur « cette
histoire-là ». Tourner autour, ôter des pelures, rajouter une
couche, virer une doublure, désassembler les manches, retailler les
poches, lui refaire les coutures. Le faire à ta silhouette, ce
texte. Ton texte.
...
Bordel,
je suis émue.
Reprenons.
...
Je
t'ai vue bifurquer, vadrouiller, bifurquer encore pour réaliser
soudain que ces bouts-là, épars, ils étaient de la même
cartographie, ornières et déroutes comprises. La même
cartographie. La tienne. Ou pas. Ou pas tant. Ou peut-être. On sait
pas. On s'en fiche. Ça fait une balade, de toutes manières, quand
on suit la carte de tes détours. Les yeux dans le rétro, mais pas
seulement. Pas seulement.
Voilà,
on est le 3 janvier et c'est le début de l'après.
Je
suis émue (c'est rien de le dire)(je me répète je sais, mais je
fais pas de la littérature) et impatiente déjà. Du prochain
bouquin, et encore plus de celui d'après. Le troisième. Impatiente
et pas inquiète.
De
toutes manières, tu vois, je te l'avais dit, et J'AI TOUJOURS
RAISON.
Keep
on going Babe
Bordel,
je suis émue. Je l'ai déjà dit ?
(et comment je fais pour piocher des bouts sans avoir l'impression de faire mentir ton texte, hein ?!)
Bon.
En vrac.
« À l'impossible nul n'est tenu.
(Entre
nous, ça m'arrange) »
« Il
serait question d'aimer, il serait question de raconter. C'est ce qui
se fait de nos jours, raconter. Mettre en mots. Encrer. Déverser. La
sueur, la moelle, le sang. Le beau comme le sale. Ce qui brûle là,
au-dedans. Le vivant. Des histoires de rien, ajustées aux
entournures, un peu lâches par moments. Des histoires de rien, parce
que le beaucoup ce n'est pas mon fort, parce que le plein je le
connais mal, parce que je ne connais que le bancal, le boiteux, le
casse-gueule, le branlant. Des histoires de rien, parce que je ne
vise pas bien loin, parce que je me contente de peu, parce que je
n'ambitionne pas de voir grand. Des histoires qui ne font pas de
bruit et des histoires qui claquent. D'autres qui rythment une vie.
Il faudrait que quelqu'un me dise par où commencer : je ne veux
pas d'un début qui soit un commencement, je préférerais un début
qui serait une fin et puis qui recommencerait, à l'envers, à
rebours, à reculons. Une histoire qui se plante de trajectoire. Une
histoire qui ne va pas tout droit. Je pourrais sans doute parler de
moi. »
« Je
voudrais pouvoir décoller les différentes couches de papier peint
de ma vie pour retrouver le lé d'origine. »
« Pour
aller d'un point A à un point B, il n'est pas rare que je passe par
M, E ou X. Il ne faudrait pas croire pour autant que je n'ai pas
l'esprit pratique. J'ai juste une forte propension à la curiosité. »
« Octobre
77.
Jeune
femme bien sous tous rapports quitte homme bien sous tous rapports.
Entre eux, une fillette de trois ans. Derrière eux, un mariage hâtif
d'adolescents trop vite devenus parents. Devant eux, un divorce pas
vraiment à l'amiable, pas vraiment à tort. Entre eux, une petite
fille bien sage, à grosse fange et pull rayé marron et orange.
Derrière eux, une maison à peine achetée, des murs à retaper, un
gouffre financier. Devant eux, une vie à s'éviter, une vie à
raccommoder, une vie à réécrire. Entre eux, une enfant qui écoute,
une enfant qui écrit dans des cahiers cachés sous un lit de fer
forgé. Derrière eux, des amis qui restent, des amis qui
s'éloignent. Devant eux, de nouvelles connaissances, de nouvelles
amours, de nouvelles séparations. Entre eux, un chagrin personnifié,
un ratage incarné, une erreur de parcours. Derrière eux, quelques
mensonges peu reluisants, quelques incapacités pardonnables. Devant
eux, une vie bien rangée, une vie explosée, les chemins peuvent
varier. Entre eux, des rancœurs tenaces, des fissures sous les
cuirasses, des douleurs insondables. Derrière eux, une fillette qui
sourit, qui prend la main, qui tend la joue, qui fait ses devoirs,
qui travaille sagement, qui ne pleure pas, qui ne comprend pas bien
ce qu'on ne lui explique pas. Devant eux, une femme qui s'éloigne,
un peu distante, un peu sévère, une femme qui ne sait pas y faire
avec son père et sa mère. »
« Petite
fille, je collectionnais les figurines de les vaisseaux de Starwars.
Aujourd'hui j'ai tout donné à mon fils. Je le regarde jouer avec
mon enfance. C'est troublant. »
« Un
jour, à la radio, ils ont annoncé la mort de Dalida. C'était en
mai 1987, j'avais un peu moins de treize ans. Ma mère était dans la
salle de bain, elle transportait toujours la radio allumée avec
elle dans toutes les pièces de l'appartement, c'était assez
pratique d'ailleurs, on pouvait la suivre au son (ou la fuir, au choix). Moi j'étais dans ma chambre, située face à la salle de
bains, j'entendais très bien ce qui se tramait sur Europe 1. je me
souviens de l'incrédulité avec laquelle j'ai accueilli cette
nouvelle. Je n'en revenais tout simplement pas. J'ai écouté les
émissions spéciales toute la journée. Pourtant c'était idiot, je
n'aimais pas plus que ça Dalida, je n'écoutais pas ses chansons, à
vrai dire elle ne me faisait ni chaud ni froid. Je la regardais
parfois dans les shows télévisés, avec ses robes lamées et ses
longs cheveux dorés qu'elle entortillait autour de ses doigts. Je me
souviens de son strabisme et de son corps parfait « pour une
femme de son âge » (c'est ce que je pensais alors : avec
le recul, je ferais moins la maligne, moi qui ai plus de deux fois
dix-huit ans). Sa mort m'a fait l'effet d'un électrochoc. Ainsi une
femme belle, célèbre, fortunée, adulée, pouvait se suicider. Je
me souviens qu'elle avait laissé une lettre à ses fans dans
laquelle elle leur demandait de lui pardonner. J'avais trouvé ça
terriblement triste. Je n'avais, à l'époque, pas compris la
dépression, l'addiction, la solitude, le manque d'amour,
l'incompatibilité au monde. J'avais à peine treize ans et je ne
comprenais rien. Ce n'est que longtemps après que j'ai cru entrevoir
pourquoi la mort de Dalida m'avait autant remuée : il y avait
sa réplique, en face de moi, qui se baladait un poste de radio à la
main. »
« De
toutes les personnes âgées, tu es ma préférée.
Mon
fils à six ans. »
« J'ai
plusieurs fois rêvé que j'étais Julie Delpy. Je racontais sans le
vouloir des choses très drôles, j'étais intellectuelle et subtile,
je savais rendre sexy mes névroses, les garçons fantasmaient grave
sur moi, j'étais nettement plus blonde, j'avais moins de seins et
plus de hanches, je parlais anglais parfaitement, je vivais à Los
Angeles et Paris me manquait parfois, je jouais dans des films que
je réalisais et dont j'écrivais les dialogues, je faisais la couv
des Inrocks, les filles m'aimaient bien, je voyageais pas mal, je me
prenais pour une chanteuse indé, je râlais assez souvent, je disais
bite chatte couille en restant élégante, je lisais des essais sur
Truffaut, je mangeais de la junk-food, je baisais assez
régulièrement, je signais des autographes, je prenais le taxi, je
posais dans Elle pour une série de mode punk-rock, je portais des
lunettes qui ressemblent aux miennes, à New-York on disait que
j'incarnais à merveille la Parisienne, je riais souvent aux éclats,
mon mec était raide dingue de moi. J'aime bien ce rêve. »
« J'ai
voulu me mettre à la boxe. J'ai rapidement abandonné : je ne
pouvais pas m'empêcher de dire pardon à chaque coup que je portais.
J'étais ridicule. »
« Je
fais ce que je peux avec mes rêves à satisfaire. Je fais ce que je
peux avec mes enfants à accompagner. Je fais ce que je peux avec mes
blancs à colmater. Je fais ce que je peux avec mes manques à
gagner. Je fais ce que je peux avec mes fautes à pardonner. Je fais
ce que je peux avec mes doutes à rassurer. Je fais ce que je peux
avec mes besoins à sustenter. Je fais ce que je peux avec mon temps
à rattraper. Je fais ce que je peux avec mon corps à dépenser. Je
fais ce que je peux avec mes désirs à combler. Je fais ce que je
peux avec mes comptes à rendre. Je fais ce que je peux avec mes
erreurs à réparer. Je fais ce que je peux avec mes peurs à
affronter. Je fais ce que je peux avec mes liens à renouer. Je fais
ce que je peux avec mes décisions à prendre. Je fais ce que je peux
avec mes vides à remplir. Je fais ce que je peux avec mes pleins à
vider. Je fais ce que je peux. »
« Un
soir, alors que je suis fatiguée et de mauvaise humeur, ma fille me
regarde et me dit « je t'aime parce que tu es vraiment
humaine. »
« Au
supermarché , j'erre souvent dans les rayons fruits et légume bio
en imaginant tous les menus équilibrés que je pourrais cuisiner. Et
je finis toujours par dévaliser le rayon des plats préparés. »
« Je
suis une capitaliste d'extrême-gauche. Ce n'est pas toujours facile
à vivre »
« Je
ne remercie pas Léonard Cohen à qui il aura suffi d'une chanson
pour me convaincre qu'il était l'homme idéal. »
« Nous
aurons des lits pleins d'odeurs légères. De mon adolescence, j'ai
retenu ce vers. Ce premier vers d'un poème de Baudelaire. Je n'ai
jamais su pourquoi j'ai retenu celui-là particulièrement. Souvent
lorsque je ne pense à rien, je pense à ce vers. Je ne pense à rien
mais toujours il me revient. Nous aurons des lits pleins d'odeurs
légères. Plus jeune, je ne comprenais pas. Je n'avais encore jamais
partagé un lit avec quelqu'un. À peine une heure, jamais une nuit.
Les draps, je ne les froissais guère. Les nuits, je ne les agitais
pas. Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères. Je repense à ce
vers. Il me vient sans y penser. Plus jeune, il me troublait. Il
était empli d'une forme de gravité. Je savais que cela ne saurait
s'arrêter là, que la légèreté cachait tout autre chose, quelque
chose que je ne connaissais pas mais que je désirais. J'avais
compris, déjà. Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères. J'ai
grandi depuis. Le temps a passé. Les hommes aussi. Et les nuits ont
pris de la densité. J'ai appris à les habiter, à les parfumer à
les étreindre et à me laisser posséder. J'ai laissé une dose
d'obscénité s'insinuer sous les draps. Nous aurons des lits pleins
d'odeurs légères. Aujourd'hui je sais. Je fais et je défais les
draps, je fais et je défais l'amour, je fais et je défais ma vie.
Et je pourrais l'écrire désormais, faire miens ces mots que je
connais par cœur, ces mots qui me reviennent lorsque je n'y pense
pas. Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères. Nous aurons des
lits pleins de rageuses chimères. Nous aurons des lits pleins de
murmures ardents. Nous aurons des lits pleins de souffles taris.
Nous aurons des lits pleins de salive et de soie. Nous en aurons
beaucoup, crois-moi. Nous en aurons beaucoup et nous n'en reviendrons
pas. »
Éparse
Lisa Balavoine
éds JC Lattès
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