les petits orAges

Le problème avec les livres comme Les petits orages, c'est pas tant la vie qui tourne pendant que tu es occupée à vivre ailleurs, tu peux pas le lâcher ce bouquin, non, la vie s'en accommode.
Non, le problème ce sont les élans. Parce qu'il faut les retenir.
Ces mots que je voudrais glisser ici, parce qu'il faut (du verbe falloir, absolument) que tu les lises aussi. Sauf qu'il y en a toutes les trois phrases et demi, des mots que je voudrais glisser ici. Et que je suis nulle en coupe chirurgicale.

"- Scuse-moi, Tige brisée, j'étais en rogne. Je marchais et j'ai buté dans un truc. Je pensais pas que c'était quelqu'un.
- Tu pensais que c'était quoi ?
- J'sais pas, une poubelle ou un truc de ce genre.
- Un mec en béquille, en jean et blouson noir, tu confonds ça avec une poubelle ?
- Quand t'es dans ma tête, ouais, mec, ça arrive. Tiens, je te rends ta tige, a-t-il dit en me tendant ma béquille.
- Tu comprendras que je vais avoir du ma à te remercier.
- T'inquiète, pas de souci. Je dois y aller, là. C'est ma première journée de cours. Salut, Tige brisée. A plus, a-t-il conclu.

Il s'est à nouveau éloigné ; j'étais étonné par son aplomb. J'ai bien cru à la fin de cette micro-discussion que je devrais m'excuser platement de ressembler à une poubelle."

Et sinon, en vrac, la page d'avant, les pages d'après :

"Lorsque nous marchions côte à côte, je ressemblais à un point d'exclamation accidenté, et lui, à une petite virgule toute légère, qui serait passée par là, presque en s'évanouissant. Cela donnait une drôle de ponctuation. Je ne sais pas si les gens nous remarquaient."

« Dans cette classe, il semblait encore plus gigantesque. Son tee—shirt était trop court, on apercevait le gras de son ventre volumineux. Et son jean, il le portait très bas. Ça laissait une impression de cacophonie. Comme si sa peau et ses vêtements avaient décidé de ne jamais s'entendre. Très bien, vous allez de ce côté ? Eh bien, moi, je vais par là et tant pis pour vous ! Résultat, le tee-shirt partait vers le bas. Je ne voulais pas être là quand adviendrait le moment où il se baisserait. »

"Certaines lettres des néons ne fonctionnaient pas, cela donnait aux magasins des airs inachevés et leur permettait d'inventer leur propre vocabulaire : « Sop » au lieu de Shop, « Bok » au lieu de Book, « Br » au lieu de Bar. Il s'en dégageait un certaine poésie, de tous ces mots heurtés, meurtris et qui continuaient de clignoter malgré tout dans la nuit. J'ai retenu la lumière électrique, le clignotement, la nuit absorbée. Être entouré par des lieux abîmés, incomplets, désertiques, parfois ç'avait du bon. On se sentait comme eux : un peu désolé. Mais repéré dans la nuit. »

« J'entendais la nature dormir. Je l'entendais vraiment, les oiseaux, les poissons, l'herbe qui poussait, le bruit du vent, j'entendais la suspension, la pause, le repos. Je percevais la quiétude des petites pierres qui souriaient, ravies d'être ainsi polies. »
Comme le jour était à peine levé, j'ai cru, les premiers instants que le brouillard tombait, je me faisais même la réflexion que c'était hyper poétique et hyper cinématographique comme départ vers l'Aventure. La nuit à peine avalée, les nappes de brume, la voiture qui roulait dans une séquence au ralenti (sauf que c'était sa vitesse normale), mais en fait, non, pas du tout.

Voilà, c'est tout ce que j'ai retrouvé de ce que j'avais écrit sur Les petits orages, quand je l'avais lu et tout juste reposé. Je reste bien perplexe et dubitative sur cette dernière phrase. Fichtre, que voulais-je dire ? Où est passée la suite ? 
Ecoute tant pis, ça restera comme ça, de guingois et pas fini, je suis bien contente d'avoir retrouvé ces bribes-là. Et puis tu sais quoi ? Tu n'as qu'à le lire.

Les petits orages
L'école des loisirs 

l'Onyx rOse

sAmedi, à l'heure de la sieste.

"Nuits blafardes trouées de sang, d'éclat vermeils de feu ; alcools brûlants, mer de glace, vidange des anges, cages pour les fous et les condamnés, flaques de groseilles du sang anonyme sur le bitume, vache sauvages du Japon, vaches qui tient, vaches maigres, pourquoi tant de vaches, s'interrogeait Ignatio.
Pourquoi tant de vaches ?"

"Elle refit du café comme du mercure bien chaud en pleurant doucement d'aide ; [...]"

"C'était l'hiver et la ville rêvait avec des lueurs dans le noir, sous une couverture de neige.
Ignatio sortait souvent, enveloppé dans un vaste manteau d'opossum et chaussé de grands socques de vair et de cuir fauve. Ses pas dans la neige formaient des dessins qui l'enchantaient. Il entrait dans des petits bars chauds, illuminés, rouges souvent et buvait des grogs à la vodka et aux algues pimentées, des petits cafés bouillants aussi noirs que la nuit du dehors ; il mangeait des sortes de pirojkis, petits pâtés chauds à la viande de renne, à la pâte moelleuse de farine de blé noir. L'air des cafés était joyeux à n'importe quelle heure, rouge et bleu de fumée de cigarette et de feu dans les cheminées."

L'onyx rose
Brigitte Fontaine (❤️)
Flammarion

blEu de trAvail

Un jour, j'ai lu Bleu de travail. J'ai relu Bleu de travail, je leur ai lu Bleu de travail. Je l'ai laissé sur une table.
C'était y a longtemps.
J'ai re-commandé Bleu de travail, j'ai reçu Bleu de travail, j'ai re-prêté Bleu de travail. J'ai offert Bleu de travail (c'était nécessaire), le mien, j'ai recommandé Bleu de travail (en plusieurs exemplaires).
J'ai offert les exemplaires, re-prêté le mien. Re-perdu, personne ne l'avait plus.
J'ai re-commandé Bleu de travail.
Qui n'existait plus. Livre épuisé, rupture de stock, en cours de réimpression.
...
C'était ma petite catastrophe à moi.
Trois fois, avec "mon" libraire, on l'a commandé puis recommandé puis re re commandé, la réimpression n'en finissait pas.
La semaine dernière, il y avait de la joie dans l'oeil de mon libraire, derrière le carreau de sa lunette... Il était arrivé.
Ce matin au réveil encore embrumé je l'ai ouvert au hasard des pages. Et j'ai ri.
Si tu savais comme je lui étais assortie !

Les matins mal coiffés
Bleu de travail - Thomas Vinau
La fosse aux  ours